INTERMITTENCE EN DANGER !

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Article paru dans Le Transistor n°8 (Janvier-février-mai 2003)

Rédigé par Pierrot Beltante

LES INTERMITTENTS VONT-ILS CONTINUER A ETRE PAYES ENTRE DEUX CACHETS ?

Comment parler de la situation des intermittents du spectacle après l'excellente tribune de Philippe VAL parue dans le Charlie Hebdo du 8 novembre ? Et vous, lecteurs du Transistor, que nous cherchons à sensibiliser pour être à nos côtés et soutenir ceux qui créent la vie culturelle et plus particulièrement les concerts, qui êtes vous ?

Essayons un peu d'originalité…. Si le Marquis de Vallombreuse* était encore de ce temps, nous pourrions sans doute l'appeler à l'aide pour soutenir le statut des intermittents ! (*pour les fans de Jean Marais et les cinéphiles) Bon d'accord l'accroche "capédépée" c'est limite et quel rapport ? … A l 'époque du Marquis, les saltimbanques, théâtreux, musiciens, arrivaient à vivre de leur art en obtenant d'être "protégés" par quelques nobles en avance sur leur temps mais aujourd'hui, les nobles sont moins nombreux, il doit bien rester un Baron… mais les saltimbanques sont près de 100 000… ça fait beaucoup à entretenir et ce dernier Baron à d'autres intérêts à protéger.

Ce n'est pas à vous jeunes musiciens, fidèles lecteurs du Transistor, à qui je vais faire découvrir les galères qui entourent la création d'un groupe : répéter, se former, trouver des dates, composer… et avoir des bons plans pour acheter le matos, produire un skeud-démo, payer les affiches* (* tous les groupes n'ont pas le Pince Oreilles pour les aider) …. ET aussi manger boire et dormir sous un toit ! Vous avez donc noté avec une certaine expérience que le seul moment où l'on est (mal)payé, c'est quand on joue dans une salle. Entre deux concerts, c'est le néant financier. Voilà donc le principe de l'intermittence des revenus… de l'intermittence tout court. Notez bien que le problème est le même pour d'autres catégories professionnelles du spectacle : les techniciens qui vous font le son et la lumière, les électriciens, les décorateurs, les comédiens, chanteurs et d'autres encore que l'on ne soupçonne même pas.
C'est assez embêtant finalement ces revenus intermittents car ils ne permettent pas d'acquérir tous ces biens de consommation si attractifs… nous voilà donc face à des choix de vie.

Ceux qui franchissent le cap de vivre de leur art courent les cachets. Ils sont près de 100 000 dont l'activité essentielle est de créer la vie culturelle en France et par extension, ils génèrent l'existence de près de 300 000 emplois des industries culturelles (cinéma, disques, gros festivals…) dont la problématique est autre puisque leur finalité est la commercialisation (marchandisation) de la culture.

Inconnus du grand public, des milliers d'artistes et de techniciens travaillent au coup par coup, par intermittence. Entre deux cachets, soit on met à profit ce temps pour composer, répéter, créer, soit on fait des p'tits boulots parce qu'il faut bien manger, cela au détriment de son art. Le statut des intermittents du spectacle est une particularité française. En effet, pendant les périodes de creux, il assure aux artistes, techniciens et autres emplois, un revenu calculé en fonction des heures travaillées précédemment. Ce n'est pas la panacée mais au moins on est sûr de payer son loyer et l'assurance de la vieille R5… Ce qui permet non pas de vivre aux crochets de la société, mais de se consacrer à son art, donc de composer, créer, répéter, se former…. en ayant l'esprit plus serein.

Ne croyez pas pour autant que le versement de cette assurance chômage soit automatique : un chanteur aussi connu que Dick Annegarn après deux années de tournées, s'est retrouvé avec insuffisamment d'heures pour prétendre à une indemnité… il a donc couru lui aussi après des contrats pour être dans les clous.

Cette "assurance chômage" très particulière coûte cher selon certains députés, en tout cas elle l'est bien moins que la construction d'un second porte avions, ou encore moins que les pertes dues aux opérations boursières ratées de France Télécom ou des avatars du Futuroscope. Favorable aux artistes, ce dispositif n'est pas non plus pour déplaire aux entreprises "culturelles" (les organisateurs de spectacles en tout genre) qui y trouvent quelques souplesse d'emploi plus intéressantes que l'intérim…

Il s'opère en ce moment des choix de société sous la responsabilité du gouvernement actuel. Il a choisi de remettre en question non seulement le statut des intermittents du spectacle qui mettra toute une partie de la population dans une situation de précarité alors qu'elle est indispensable à la société, mais encore en supprimant les emplois-jeunes, il fragilise les lieux socioculturels qui avaient pu développer leurs activités grâce à ses postes. Ce n'est pas pour rien que les Intermittents du spectacle se sont mobilisés et continuent de manifester. Ne soyez pas indifférents, informez-vous et soyez à leurs côtés pour que la culture soit toujours vivante et accessible à tous.

Commentaires recueillis par Bronsky lors de la manifestion du 24 novembre 2002 à La Vilette (Paris) :

"C'est une attaque sans précédent que tente le MEDEF. Ils veulent la fin du statut d'intermittent pour le remplacer par on ne sait pas trop quoi qui pourrait ressembler à des contrats de saisonniers." (Jipé - comédien syndiqué CGT)

"Quand on pense que les professionnels du spectacle sont réputés pour être politisé et plutôt ancrés à gauche, et qu'on voit le peu de monde qui se mobilise. Il y a de quoi être vraiment inquiet sur l'état de la société." (Christophe - technicien du spectacle)

Affiche de la fédération du spectacle CGT


 

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Article paru dans Le Transistor n°6 (Avril-mai-Juin 2002)

Rédigé par Marianne Vinyz

QUAND LES INTERMITTENTS ASSURENT...

La bataille de l'intermittence aura durée 6 mois. Le 21 février dernier, la loi relative à l'assurance chômage des intermittents du spectacle est adoptée par le parlement. Une claque pour le MEDEF et son célèbre chef : Ernest-Antoine Seillière. Une victoire pour la culture.

Que sont ces annexes VIII et X de l'assurance chômage dont il a été tant question ces derniers mois ? Ce sont les textes qui stipulent, au regard de la spécificité des métiers du spectacle, que les techniciens et artistes du secteur culturel peuvent toucher le chômage pendant un an, s'ils justifient de 507 heures de travail au cours des douze derniers mois. Faites le calcul : ces 507 heures correspondent à peu près à trois mois de boulot. Ces annexes existent depuis 1969. A l'époque, il n'y avait que très peu de chômage en France et le nombre d'allocataires concernés s'élevait à 1 500. Aujourd'hui, ils sont plus de 100 000 à s'être retrouvés au cœur d'un vide juridique inédit lorsque le syndicat patronal, le MEDEF, a décidé de laisser à l'écart de la nouvelle convention d'assurance-chômage, le régime de l'intermittence. En effet, à partir de là, aucun texte ne permettait l'indemnisation des intermittents. Malgré ce flou, les Assedic ont continué de les indemniser. Combien de temps cela allait-il durer ? Les intermittents n'ont pas attendu de le savoir pour faire face.

Le MEDEF veut tout simplement supprimer ce statut d'exception. Le baron et son chevalier servant, Denis Kessler, ont pour objectif de faire passer les intermittents sous le régime des intérimaires. D'après leurs chiffres le régime de l'intermittence a coûté 600 millions d'euros l'an dernier. Ce sont les autres secteurs de l'économie qui en font les frais. Seulement, ils oublient, ou ne veulent pas prendre en compte, le caractère spécifique de la production culturelle. Car la culture n'est pas un secteur économique comme les autres : pour fournir des artistes " vendeurs " à une période donnée, il faut entretenir un vivier d'artistes en développement. Et le temps de la création artistique, n'est pas celui de la production standardisée. En essayant de rayer le régime de l'intermittence, c'est toute la dynamique du spectacle vivant qui en aurait été affectée.

Heureusement, les intermittents ont su se mobiliser pendant ces derniers mois. Les pétitions et appels à manifester se sont accumuler dans les boites email. Les manifestations et interventions impromptues se sont succédées... Mais attention, une bataille est gagnée, mais des négociations sont encore à venir. Le MEDEF a tenté le coup de force, a dû reculer, mais n'abandonne pas pour autant son projet. Ce qui est en jeu c'est cette exception culturelle dont tout le monde parle, mais dont peu comprennent finalement les enjeux.